Interview de Max Rensonnet, gérant de la librairie la Commanderie à Liège – Antoine Bruyère

Licencié en langue, lettres françaises et romanes, je songe à commencer mon affaire en tant qu’indépendant en librairie. Toujours hésitant, j’ai décidé d’aller poser quelques questions à Max Rensonnet, gérant de la librairie la Commanderie. Voici donc le résumé de l’entrevue que nous avons eue :

Bonjour Max. Au départ, d’où t’es venu l’idée et l’envie de créer ta propre librairie? Est-ce que tu avais déjà le concept thématique bien en tête?

À la base, le concept est un peu copié. Le principe de librairie ultra spécialisée, objets, bouquins et éditeurs existe déjà depuis plus de 20 ans à Paris. C’était un chouette réseau de librairies, quatre librairies dans Paris, très belles, bien achalandées et luxueuses. Et puis, j’ai remarqué qu’à Liège le concept n’existait pas encore et bêtement, face à ce manque, j’ai voulu avoir une librairie équivalente à celle-là. Après, sur le fait d’être indépendant, c’était plus un trait de caractère qu’autre chose. Il y avait mille façons de démarrer ce projet. Personnellement, avoir un patron,  je ne saurais pas même si le fait d’être indépendant est une arme à double tranchant. Si tu es employé en librairie, que tu fasses un super chiffre d’affaire ou pas ne changera rien pour toi.

 Donc c’est plus par rapport à ce que tu pensais pouvoir faire et vouloir faire ?

Je voulais avoir les coudées franches pour manoeuvrer le projet et dès le début, je me suis rendu compte que vivre de bouquins était très complexe. La place des grandes librairies est déjà prise. Quand je dis « grandes librairies », je parle de librairies au sens général. Du coup, il fallait faire de l’hyper spécialisation. Et là, je pense qu’il y a vraiment une niche pour les librairies hyper spécialisées, parce qu’elles permettent d’avoir tous les bouquins sur un thème précis, mais aussi tous les goodies qui se rapportent à ce sujet sur le côté. Etre libraire, c’est avoir la liberté de choisir les bouquins que tu vas proposer à ton public, de ne pas être seulement un réassortisseur. Pour moi c’est important d’avoir le choix du contenu éditorial à mettre en librairie.

 Les goodies c’est quoi?

Ce sont tous les petits objets que tu vas vendre avec une marge différente. Ton activité « librairie » ne te permettra d’atteindre que 30/35% du chiffre d’affaire, et donc, autant te dire que tu vas être à 10% en net. Donc, si tu fais un chiffre où on t’achète pour 2000 euros de bouquins, ça ne te fait que 200 euros dans ta poche. Et 2000 euros de bouquins ça n’arrive jamais. Les goodies sont indispensables pour arrondir les fins de mois.

Etre patron d’une librairie permet de rentabiliser suffisamment pour vivre de cette seule activité?

Je ne dirais pas que c’est poker, parce que c’est vachement lié à ton choix d’aménagement, d’implantation, la localisation de ta librairie, à comment tu la présentes, ce que tu décides de vendre en librairie, comment tu le vends, tout ça… Tes ventes dépendent quand même un peu de ton boulot. Mais après, si les gens ne poussent pas la porte, tu fais ce que tu veux, même si ta librairie est super belle et bien rangée, tu ne vendras pas.

C’est quoi exactement la différence en une librairie générale et une librairie hyper spécialisée ?

Par exemple, le diffuseur de Giacometti/Ravenne se trouve chez Lattès ou Pocket donc ça veut dire qu’ils passent par Dilibel ou Interforum en fonction du format de poche ou en grand format. En gros, tous ces bouquins se trouvent partout. Le job de l’hyper spécialisation, c’est d’aller chercher et de rassembler ensemble tous ces titres-là. Á la limite, ce que j’ai ici, tu en as un peu voire très peu chez Pax, tu en as un petit peu à la Fnac, un petit peu chez Cultura… Mais ici, ils sont tous ensemble, et c’est ça qui te fait une librairie spécialisée. Tout ce qui tourne autour d’un même sujet est là. Et c’est la seule différence, parce qu’à la limite, tout ce qui est là passe par des diffuseurs ordinaires et tous les libraires pourraient les proposer mais l’hyper spécialisation les obligerait à consacrer beaucoup trop de place pour un seul sujet et ils devraient forcément pousser les murs car il y auraient également tout le reste à mettre en rayon.

Maintenant, les libraires hyper spécialisés se rendent compte qu’ils doivent aussi se diversifier un peu pour manger à la fin du mois. Nous, on a développé du roman « feel-good », on a développé du « bien-être personnel », et là par contre, sur un même plateau ça peut être plus éloigné. Mais vraiment, l’idée de base, c’est la partie droite de la librairie. Comme tu peux le voir, elle correspondait à l’ancienne superficie de la librairie. C’est vraiment l’essence. Et là, ça correspond à un vrai fil conducteur. Quand tu balaies la librairie, Il y a vraiment un sens de rotation logique dans la librairie qui fait que tu démarres par la philo et la symbolique générale et puis la maçonnerie et quand tu es dedans, tu as tout ce qui est spécialisé (l’histoire des textes anciens…). Le principe c’est que tout le monde peut lire ça, ce n’est pas réservé à un public particulier mais il y a des clefs de lecture qu’on doit avoir en faisant le parcours. On ne fait pas des équations à six inconnues en maternelle, on apprend à compter. C’est le même principe.

As-tu d’autres projets à venir ?

Là on a un roman sous le coude dont on doit faire l’annonce. Il s’agit de notre premier roman, nous l’avons déjà édité il y a dix ans, et pour l’anniversaire on le réédite en format de poche. Là, on attend de voir comment le présenter pour que ça marche. Parce que quand tu dépenses de l’énergie il faut que ça marche ! A l’avenir nous envisageons de chercher des bouquins « hors-circuit ». Il existe des ouvrages de qualité qui malheureusement sont sans diffuseur. Ces gens-là ont compris la réelle difficulté de trouver un bon éditeur et finissent par vouloir imprimer eux-mêmes.

Quels conseils aurais-tu à donner à un apprenti libraire ?

Il faut éviter un piège. Quand tu es libraire, tu dois vendre ce qui est de ton fonds de commerce. C’est-à-dire, un exemple très concret, durant les fêtes de fin d’année tout le monde a dit qu’il fallait aider les librairies et acheter local. Les gens l’ont fait, mais ils l’ont fait sans nécessairement prendre en compte le fait qu’ici on est spécialisé. Et donc, on nous a commandé plein de choses qu’on avait pas. On a par exemple vendu beaucoup d’Obama, plein de trucs comme ça, qu’il a fallu acheter alors qu’ici, il y a à peu près 3000 livres de stock ! Il a fallu racheter des choses que tu ne paies pas tout de suite. On a vendu beaucoup de livres. On a fait comme 15000 euros de livres pour le mois de décembre, ce qui est énorme. Sauf qu’en janvier les factures sont tombées. Et là, quand tu paies tes 12000 ou 13000 balles de bouquins que t’as vendu, ça picote. Tu as l’impression que tu as bien vendu mais tes marges sont tellement petites que quand la facture arrive, ça fait mal. Si tu te lances dans une librairie hyper spécialisée, il faut que tu mettes l’accent sur le fait que les gens viennent chez toi pour ce qui est là.

 Merci d’avoir accepté cet interview Max, cela m’a fait avancer dans mon cheminement et je pense qu’avec le stage, ça va me permettre de visualiser si je suis fait pour être indépendant.

https://www.la-commanderie.be/

 

 

 

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